Les invités d’honneur
du SoBD 2023
Chaque année, le SoBD met à l’honneur deux personnalités de la bande dessinée : un artiste et un auteur ayant écrit sur la bande dessinée. En 2023, le SoBD accueille Jacques de Loustal, dessinateur, photographe et peintre au parcours auréolé de succès depuis plus de quarante ans. À ses côtés, Erwin Dejasse, historien, chercheur et commissaire d’exposition, auteur de plusieurs ouvrages d’études de la bande dessinée.
Jacques de Loustal
& Erwin Dejasse
Invités d’honneur du SoBD 2023
Jacques de Loustal
Les lignes et l’ailleurs
Jacques de Loustal est un multi-instrumentiste de l’image. Illustrateur, affichiste, dessinateur de presse, peintre, croqueur de voyage, et même photographe.
Né en 1956, benjamin d’un père militaire, il s’oriente vers des études d’architecture qui présentent l’avantage d’allier respectabilité et pratique du dessin. Il est encore étudiant lorsqu’il publie ses premières illustrations dans le magazine Rock & Folk, dont le rédacteur en chef, Philippe Paringaux, deviendra son scénariste. Le duo fait ses armes dans Métal Hurlant avec des histoires courtes, compilées en albums aux Humanoïdes Associés au début des années 1980 (New York Miami, Clichés d’amour). C’est la revue (À Suivre) des éditions Casterman qui leur offrira l’opportunité de s’exercer au format long. Ils publient coup sur coup deux chefs d’œuvre, Cœurs de Sable et Barney et la note bleue, en feuilleton, à partir de novembre 1985. La biographie romancée du saxophoniste de jazz français Barney Wilen est un succès, tant auprès du public que de la critique. Déjà, le jeune dessinateur propose une esthétique graphique qui lui est propre : des contours noirs marqués et des lignes de fuite structurantes, des compositions volontiers géométriques et des couleurs à l’aquarelle d’une rare intensité. Le ton Loustal est là aussi, qu’il continuera à développer dans l’ensemble de son œuvre : des scènes de nuit illuminées d’ambiances électriques, rock’n’roll et rétro, une urbanité poisseuse, et de belles femmes aux visages anguleux, le tout dans une temporalité lente, propre à façonner le caractère des personnages. Le dessinateur développe un rapport très illustré à la séquentialité. Ses albums s’embarrassent en effet peu des dialogues et des bulles. C’est un adepte des longs récitatifs et des grandes cases, des séquences muettes. Car s’il crée du visuel, il accorde beaucoup d’importance au texte, à sa musicalité et à son intégrité. « L’avantage de cette forme narrative est qu’il y a beaucoup d’informations dans le texte et ça me permet de choisir l’image que m’inspire le texte, confie-t-il au journaliste Alexis Seny en 2016, d’avoir de grandes images d’atmosphère, sans la pollution des phylactères. Mettre une bulle dans une ambiance de nuit, ça ne me plaît pas. »
Depuis Barney et la note bleue, Loustal n’a eu de cesse de dessiner de la bande dessinée. Il compte une trentaine d’albums à son actif, dont un bon tiers scénarisé par Philippe Paringaux (La Couleur des rêves, 1994, Kid Congo, 1997, Le Sang des Voyous, 2006…). Guidé par son amour du texte il s’associe à d’autres écrivains, Jérôme Charyn (Les Frères Adamov, 1991, White Sonya, 2000) Jean-Luc Coatalem (Jolie mer de Chine, 2002, Rien de neuf à fort Bongo, 2004), Dennis Lehane (Coronado, 2009) Tonino Benacquista (Les Amours insolentes, 2010) et parfois à d’autres dessinateurs de BD, Jean-Claude Götting (Pigalle 62 27, 2012 ; Black Dog, 2016) ou Fred Bernard (Le Bijou, 2019). Son dernier album, Simenon – L’Ostrogoth, publié en octobre 2023 aux éditions Dargaud, aborde la vie de l’auteur de Maigret, que Loustal affectionne et avait déjà illustré aux éditions Omnibus en 2014.
Entre deux albums, il s’adonne à d’autres supports, affiches, pochettes d’albums ou couvertures de romans. De polars, ou de littérature de voyage, notamment. Il publie désormais aux éditions de la Table Ronde ses propres recueils de dessins de voyage, entamés au Seuil dans les années 1980. Tout autour du monde, il trace ses lignes tantôt charbonneuses ou encrées, dans des lieux volontiers reculés, déserts, et maritimes. Ces ambiances, alimentent également ses peintures à l’huile, où le fusain cède le pas à des ombres plus délimitées. Ses toiles mettent en évidence le rapport à la perspective, caractéristique du dessinateur. La profondeur naît de la juxtaposition des objets, et les couleurs semblent y refuser toute hiérarchie de plan. C’est sur ce support que Loustal fait évoluer ses compositions paysagères les plus ambivalentes, peuplées d’apparitions animales. L’œuvre diverse et cohérente de ce grand touche-à-tout du dessin semble dire qu’il faut varier les plaisirs, mais y revenir sans cesse.
Lauren Triou
Quelques livres signés Loustal
Erwin Dejasse
Docteur en histoire de l’art, maître de conférence à l’Université de Liège, Erwin Dejasse peut se revendiquer de la seconde génération des chercheurs belges spécialisés dans l’étude de la bande dessinée.
Ce sont des lectures enfantines qui le conduisent vers l’objet de ses études. Né en 1971 au Congo, c’est un familier de la littérature en images dont les grands noms habitent les rayonnages de la bibliothèque familiale. Hergé, Jacobs, Jijé, Uderzo et Goscinny, Franquin, Macherot, Tillieux l’accompagnent encore pendant les années d’adolescence. « J’ai beaucoup lu ce qui était publié dans les journaux Tintin et Spirou, se souvient-il, avec une petite préférence pour le second dont j’appréciais la fantaisie et l’esprit d’anarchie douce qui traverse les meilleures années de la revue. »
Lorsqu’il s’engage dans des études d’histoire de l’art, au début des années quatre-vingt-dix, il est titillé par l’idée de consacrer à la BD son mémoire de licence (on dirait master aujourd’hui). Pour étoffer son projet, Erwin Dejasse se met en recherche d’ouvrages qui lui consacrent leurs pages. À Liège, la Bibliothèque des Chiroux lui fournit un premier matériel : des numéros épars de Cahiers de la Bande dessinée, les Années de la bande dessinée de Stan Barets et quelques titres de Filippini et Moliterni. C’est une époque où le matériel scientifique est encore peu étoffé, et où nulle institution ne se charge de le regrouper pour le mettre à disposition des étudiants. En furetant sur les étals de la librairie La Marque jaune, le jeune homme ouvre également l’horizon de ses lectures en se penchant sur les œuvres de Muñoz et Sampayo, Barbier, Tardi ou encore de F’Murrr. L’incompréhension à laquelle l’étudiant est confronté devant des artistes dont le travail se distingue considérablement du classicisme belgo-français n’est qu’un obstacle temporaire, vite franchi : Dejasse consacrera son mémoire à Tardi, et sa thèse de doctorat à Muñoz et Sampayo.
Bien entendu, la dernière décennie du XXe siècle est aussi celle de l’émergence d’éditeurs indépendants : L’Association, Cornélius et Amok en France, ce dernier devant fusionner avec les Belges de Fréon pour donner naissance au Frémok, Atrabile en Suisse. D’Amérique du Nord parviennent les titres de Fantagraphics et de Drawn & Quarterly, qu’on peut trouver De Schaar à Bruxelles ou à Het Besloten Land à Louvain. Pour de nombreux lecteurs de l’époque, ces maisons d’édition et leurs publications renouvellent l’intérêt pour la bande dessinée : « j’avais le sentiment d’assister en direct à un moment historique », note Erwin Dejasse trente ans plus tard.
Qu’est-ce qui fait naître un chercheur spécialiste du 9e art ? Les livres d’abord, certes. Mais aussi les rencontres : « Il m’a fallu un an à me décider à écrire et à envoyer mon mémoire sur Tardi à Thierry Groensteen ». Convaincu, ce dernier lui ouvre les portes de la revue 9e art, alors publié dans un grand et luxueux format papier. Une soirée des adhérents de L’Association entraîne une autre rencontre importante, cette fois avec Jean-Christophe Menu. « Je vais complètement m’identifier aux combats qui sont les siens. Son approche punk vient contrebalancer le sérieux et la rigueur de Groensteen. » Mais c’est la troisième rencontre qui s’avérera déterminante pour le travail de recherche d’Erwin Dejasse : par l’intermédiaire de Pierre Bailly, il fait la connaissance de Philippe Capart qui cherche quelqu’un pour l’accompagner sur un projet de livre. « Philippe va m’apprendre à regarder les choses de biais, sous un autre angle différent de ceux habituellement proposés, de ne pas nécessairement croire que ce qui a été écrit cent fois est forcément vrai. Et aussi à essayer de penser en me mettant à la place d’un créateur… ». Ensemble, ils signeront l’ouvrage Morris, Franquin, Peyo et le dessin animé, publié par Thierry Groensteen aux Éditions de l’An 2 en 2005.
L’ancien jeune lecteur de Spirou ne s’arrête pas en chemin. Il poursuit son voyage de découverte d’un monde d’images infiniment plus vaste qu’il ne l’avait d’abord cru. À la fin du second millénaire, il rencontre l’art brut. « Ce monde-là me semblait alors tout à fait extérieur à celui de la bande dessinée ». Mais l’œil curieux ne se contente pas des a priori, et la jonction entre les deux branches artistiques est faite à l’occasion d’une recherche post-doctorale qui aboutira à l’exposition « Art Brut et bande dessinée », installée comme il se soit dans la prestigieuse Collection de l’art brut de Lausanne (2022-2023), et donnant lieu à un catalogue coédité par Atrabile et la CAL.
Enseignant, commissaire d’exposition, collaborateur scientifique à l’Université libre de Bruxelles et professeur à l’École supérieure des arts Saint-Luc, Erwin Dejasse est membre fondateur du groupe de recherche sur la bande dessinée ACME et membre du comité de rédaction de la revue en ligne Neuvième art éditée par la CIBDI. La publication de sa thèse est attendue pour le SoBD aux Presses Universitaires François Rabelais de Tours, sous le titre La Musique silencieuse de José Muñoz et Carlos Sampayo.
Quelques titres d’Erwin Dejasse
Loustal et Erwin Dejasse seront tous deux présents sur le SoBD le samedi 2 décembre 20223, à l’occasion du Cycle des invités d’honneur. Il s’agit d’une série de trois tables rondes permettant de découvrir et d’approfondir le travail de Loustal et Dejasse. Aux côtés d’autres invités, ils reviendront sur leur parcours et leurs engagement, ainsi que le style graphique de Loustal et les thématiques récurrentes dans son travail. Une sélection d’une soixantaine de planches fera l’objet d’un accrochage au Musée éphémère du salon, ainsi qu’une vingtaine de reproductions à L’Académie du Climat.
Précédentes éditions
les invités d’honneur du SoBD depuis 2012